Stéphanie Roland

Mon intérêt pour la psyché humaine débuta dès l’enfance. Ma mère me lisait les « Contes à guérir, contes à grandir » de Jacques Salomé, et m’aidait à observer mes maux somatiques comme un langage secret, et à interpréter la méchanceté des autres du côté de la souffrance.

À l’adolescence, ma curiosité scruta la souffrance et les modes de vie marginaux des autres – choisis ou subis. Certains membres de ma famille ou de ma sphère la plus intime traversaient des dépressions sévères, jusqu’à attenter à leurs jours, parfois avec succès. Par ailleurs, sans jamais m’identifier à un groupe ou à un paterne, je désertais parfois les cours, pour me relier à ceux qui échappaient à ma compréhension et me fascinaient, notamment les « gens de la rue ».

Lorsque fut le temps de choisir une voie universitaire j’étais tiraillée entre cette curiosité conjointe au fantasme de pouvoir sauver l’autre, et le monde artistique… Psychologue, journalisme, médiation culturelle… Beaucoup d’envies que je ne voyais pas comment lier. J’ai d’abord fait une année à Grenoble, en « Arts du Spectacle », nous allions au théâtre, découvrions les métiers cachés des représentations scéniques, pratiquions l’improvisation, et j’en oublie. Impossible pour moi de concevoir que s’amuser c’était étudier, peut-être suis-je passée à côté de ce que devrait être l’apprentissage ? J’en garde de bons souvenirs, mais j’ai très vite eu le sentiment de ne pas être à ma place. Alors je suis retournée à Toulouse, pour m’inscrire en première année de psychologie, alors qu’Anaïs entrait déjà en troisième et dernière année de Licence. Ce ne fut pas tout de suite le grand amour entre « la » psychologie et moi, nous apprenions l’histoire de « la » psychologie, les différents modèles… Tout ne m’intéressait pas à la même hauteur, et je peinais à trouver beaucoup d’intérêt pour ce qui n’avait pas attrait à la psychanalyse, sans en avoir encore une profonde compréhension, mais déjà une expérience puisque c’est à ce moment que je commençais à m’allonger sur le divan d’une psychanalyste. Et arriva le jour où je me suis plongée dans l’Œuvre de Sigmund Freud… C’est là que l’évidence amoureuse eut lieu. Je m’immergeais rigoureusement dans les lois de l’inconscient qu’il dégageait à partir des récits de ses patients, des lapsus, des oublis et de leurs rêves… et je m’émerveillais, de livre en livre, quant à la capacité de cet homme de dire « je me suis trompé ». Enfin un théoricien dont la curiosité et la rigueur côtoyaient l’humilité ! C’est à peu près au même moment que je découvris les Séminaires de Jacques Lacan – grand freudien ! – qui préférait penser la division de la psyché humaine avec l’apport de la linguistique, alors que Freud cherchait des causalités neurologiques, physiologiques ou ontologiques. Lacan décréta : « l’homme est surdéterminé par le langage », ce qui signifie que l’homme ne peut penser son être sans le filtre du langage et sa logique grammaticale, au point qu’il inventa le néologisme de « parlêtre ». Toutes les années qui suivirent, de la suite de ma formation de psychologue jusqu’à mes premières années de psychologue en libérale furent adossées à ce savoir. Ce savoir sur l’inconscient, l’angoisse, la division du sujet entre sa volonté consciente et son désir inconscient, entre son désir et son revers… Ce savoir qui invite le praticien orienté par la psychanalyse à se taire, à ne pas « jouir » (la j’ouï sens) avec son patient dans un imaginaire co-créé, afin de le laisser prendre conscience ce qu’il crée tout seul, là où il nous met tout seul, ce qui lui semble important d’adresser tout seul.

La psychanalyse reste pour moi la pierre d’angle de la psychothérapie, mais… Mais on peut rester si longtemps perchés dans les hauteurs du blabla mental, sans comprendre l’essentiel ! Et, est-ce que comprendre la structure de son désir est vraiment LA problématique à résoudre tant pour être heureux, pour trouver un sens à la vie, et être souverain de la sienne ? N’y a-t-il pas un essentiel que les grands élitistes de la psychanalyse et de la rigueur intellectuelle, ont oublié ? Pour Lacan, le « je » du « je suis » tient dans le petit espace d’un ingénieux (et singulier) nouage entre le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel. Il ne néglige donc pas le réel, mais il ne lui fait pas, me semble-t-il, la part belle.

L’autre rencontre merveilleuse qui a transformé mon rapport à moi-même et au monde, c’est la méditation. La pratique de l’assise biensûr, comme le premier pas d’acceptation dans la voie du non-agir (et du non blabla), mais surtout la pleine conscience, aussi souvent que possible, comme la possibilité de ne pas se confondre avec son blabla intérieur, de ne pas se confondre avec la météo, parfois énigmatique, de nos émotions, comme la possibilité d’accueillir les manifestations du vivant sans jugement… c’est un peu comme si tout en soi connaissait plus d’ouverture et de légèreté. Cette voie du sentir m’a au moins autant apporté que mes quinze ans de psychanalyse. Et elle n’est hélas jamais acquise, malgré le plus de clarté et de joie qu’elle apporte dès lors qu’on pratique quotidiennement… Et c’est par cette voie du sentir que j’ai accédé à l’Unité. Ça n’empêche évidemment pas au petit « moi » – séparé – de se raconter des histoires, de se juger, d’exiger et de souffrir… Mais cela permet de s’y identifier moins longtemps et de se créer des espaces de conscience, calme par définition. Le point de conscience est toujours calme, et de plus en plus clair à mesure que nous nous y connectons. La rencontre de notre structure par la voie de la psychanalyse et de notre point de conscience par la méditation, modifie notre rapport au monde et à nos relations en ce sens – il y a j’imagine d’autres expériences d’introspection et de conscience – où cela nous permet de conscientiser la co-existence du dit et du dire, c’est-à-dire de ce qui est dit et du pourquoi on le dit, du visible et de l’invisible. En tout cas, c’est le chemin que j’ai parcouru.

De réaliser que le blabla qui était en moi était comme indépendant de ma volonté et conditionnait mes humeurs et mes croyances, m’a permis de mesurer le poids des pensées. S’il est précieux d’en savoir un peu plus sur le pourquoi certaines pensées véhiculent en nous, sur le comment le langage nous habite, afin d’avoir plus d’outils pour quitter la loyauté que nous avons à leur égard, comprendre ne suffit pas. Les êtres vivants sont ainsi faits qu’ils préfèrent des habitudes nocives qu’un changement radical. C’est pourquoi, me semble-t-il, il est précieux de varier les outils, et le silence du psychanalyste m’apparaît parfois comme une forme de lâcheté. Lors d’une période compliquée de ma vie, une crise de sens (human nie terre) j’étais accablée sous la lourdeur des pensées négatives, critiques, voire même d’une cruauté incroyable, que j’avais à mon égard. Un peu désespérée, je me suis mise à écouter des affirmations positives (merci Fanny Caufriez de la chaîne Courant Indigo), et je me suis rendue compte non seulement que la répétition de ces affirmations court-circuitait la petite voix de mon tyran intérieur, mais que mes pensées pouvaient radicalement modifier mes représentations du monde et de moi (m’aime). C’était incroyable ! Grâce à la méditation j’observais les couleurs avec plus de clarté et grâce aux affirmations et à la modification de mes croyances j’en découvrais de nouvelles.

Et puis, je suis devenue mère, nouveau tsunami psychique, toujours sous le thème de la culpabilité. Entre angoisse et colère, il me fallait à nouveau trouver de nouveaux outils, c’est ainsi que je me suis plongée dans la psychologie positive, l’éducation bienveillante, la communication non violente. L’éducation bienveillante ou positive, a été plus vicieuse pour moi : à mettre l’accent sur tout ce qu’on n’est pas encore, comme quelque chose de dommageable, crée de l’angoisse, de la culpabilité et de la mise en échec. La communication non-violente à cotrario, m’a permis de rencontrer mon tyran intérieur autrement. Il ne s’agissait plus seulement d’analyser, de chercher d’où il venait, de le court-circuiter, de me désidentifier de lui, mais de l’accueillir, comme « la manière tragique d’exprimer un besoin ». La communication non-violente a été l’amour inconditionnel qui me permettant de me relier à toutes les parts en moi – il y a des allers-retours, c’est en pleine construction – me permet d’accueillir toutes les parts de l’autre également, non seulement sans jugement mais avec la curiosité et l’élan d’au moins essayer de m’y relier… Ce qui avait toujours été latent en moi, cet élan, pouvait désormais pleinement se réaliser car j’avais de nouveaux moyens pour composer avec « toutes » (soyons humbles:)) les parts d’ombre de l’humain, sans trop me faire mal. L’épreuve d’humilité qu’est cette reconnaissance de l’ombre n’est pas des moindres, mais apprendre à pardonner et se pardonner est le plus grand cadeau que l’on puisse se faire. J’adhérais intellectuellement à la notion d’acceptation prônée par les courants bouddhiques et taoïstes, mais quand je me confrontais à devoir accepter soit une situation qui ne nourrissait pas du tout mes besoins, ou à des parts de moi auxquelles je n’adhérais pas du tout, j’étais en panique, et devenais méchante, surtout avec moi. J’ai pourtant peu été élevée par mes parents dans une logique récompense-punition, mon corps n’avait pas engrammé beaucoup de violence, et pourtant je découvrais une violence interne que je n’avais jusqu’alors pas mesurée, et j’ai compris que mon tyran découlait de cette croyance que non seulement il me fallait le consentement de l’autre (et même de mes enfants!) pour m’occuper de mes besoins, et que si apparaissait de moi une version que je n’approuvais pas, il fallait me punir, me haïr. Le jour où j’ai compris que la colère n’était que la réaction émotionnelle de la non-acceptation de ce qui est, et que l’acceptation n’avait strictement rien avoir avec la résignation, la soumission ou l’abandon, mais qu’au contraire il s’agissait de l’étape nécessaire pour amorcer un changement, j’ai connu une expansion délicieuse.

Tout n’est pas que lumière et expansion, mon corps m’arrête bien des fois encore, pour me rappeler les limites que ma pensée (et leurs commandes) illimitée néglige trop souvent. Je reste fondamentalement au travail, auprès de moi et de mes patients, avec passion. Voilà ce qu’il en est de mon parcours de chercheuse-thérapeute.

Cette quête d’une logique permettant le bon fonctionnement de toutes nos instances internes, à l’instar de l’écologie de dame Nature, m’a conduite très naturellement à désirer profondément me relier à la logique de la nature, tant sur un plan symbolique (les symboles de passage), sur un plan imaginaire (dans le sens des croyances et images qui habillent la réalité) qu’en approfondissant la voie du sentir. Et si tout mon cheminement jusqu’à aujourd’hui n’a pu se faire sans les autres, je me sens appelée à ce jour tant à co-créer avec mon amie de toujours, à générer plus de sens par l’âme unique de chaque groupe en devenir et à relier psychothérapie, temps et nature.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer